Introduction
Il y a des photographes de guerre qui toute leur vie durant n’ont cherché que l’instant, le moment décisif, LA photo qui résumera un conflit.
On songe immédiatement à la fameuse photo de Capa du soldat républicain tué durant la Guerre d’Espagne, celle des soldats soviétiques arrachant le drapeau nazi sur le Reichstag de Yevgeni Khaldei ou la petite fille brûlée au napalm par Tran-Bang courant avec des enfants qui hurlent de peur d après un bombardement sud-vietnamien .
Ce sont des moments tragiques que nous avons tous en mémoire, même quand on apprend après que certaines de ces icônes ont été retravaillées dans le sens de la propagande ou l’effet choc.
Le travail d’Agostino Pacciani va dans le sens inverse.
Certes, il a produit des photos mémorables, des instants où nous reconnaissons dans ces images de désarroi et surtout de profonde humanité. Car c’est bien cela qui traverse tout son travail, en Bosnie, dans les camps de réfugiés au Pakistan, au Kosovo, en Afrique. Ago raconte des histoires. Dans chacune des photos, un roman entier sur du destin de l’individu au milieu d’un conflit, d’un désastre qui le dépasse. Et à chaque fois, c’est la qualité intime de l’expérience personnelle qu’il préserve, dans un énorme respect de la personne qu’il photographie et qui ne sera jamais, au contraire de la plupart des-reporteurs-photographes de guerre les plus connus, réduit à l’état d’objet anonyme qui offre sa mort ou son héroïsme en pâture au photographe.
À chaque fois, nous assistons à une conversation entre le sujet et celui qui se trouve de l’autre côté de l’appareil. Il y a toujours un échange où Ago capte par l’image ce qui est dit dans les silences, les soupirs, les rires. Son œil écoute, patiemment, attentivement. La dimension du temps est toujours au rendez-vous. Ago n’est pas pressé. Dans son travail sur la Bosnie, il revient sur les mêmes thèmes, fidèle à ces personnages devenus amis. Il va les revoir, il renoue la discussion là où il l’avait laissée. C’est comme s’ils ne s’étaient jamais quitté, mais pourtant il enregistre le temps qui s’est écoulé. L’amertume de l’espoir déçu en premier lieu, des deuils sans fin. car l’après-guerre est inévitablement le moment de règlements de compte, d’opportunisme, de profondes déceptions pour les personnes qu’il a rencontrées qui espéraient simplement reprendre le fil de leur vie là où il l’avait laissée. Parfois l’inattendu jaillit, un ‘happy end’ inattendu, un message d’espoir dans le regard espiègle d’un enfant, dans le sourire d’une jeune fille. Les photos magnifiques d’Ago, vadrouilleur, aventurier au cœur gros comme un camion rempli d’aide humanitaire, racontent des histoires, à savourer, à méditer, à lire des heures durant. C’est un travail qu’aucun instantané, aucune photo volée par un téléphone portable ne saura jamais imiter, puisque c’est l’œuvre du romancier-photographe engagé.
Je le sais parce que j’ai moi-même connu Ago pendant la guerre en Bosnie, nous avons fait un voyage épique ensemble dans la ville assiégée. À l’époque je menais une action humanitaire dans la banlieue de Dobrinja et j’entreprenais mes recherches sur la survie des femmes pendant la guerre. Ago, lui, promenait son regard et sa tendresse dans les quartiers les plus cachés de la ville sous les bombardements. Cette fois-là, il s’en est extrait en escaladant des collines sous le feu des snipers, les appareils en bandoulière. A Sarajevo, Ago est une figure de légende, tous le connaissent, tous l’aiment. Le contraire serait inimaginable. Ils ont beau avoir subi les feux des média du monde entier, tous s’accordent pour dire qu’ils n’ont jamais vu un photographe de ce genre, chez lui dans les moindres recoins de la ville hélas martyr de la guerre, mais aussi d’une paix tristement injuste.
Carol Mann